Par Vincent Loiseau.
Selon le Robert, un logiciel est un ensemble de programmes et de procédures nécessaires au fonctionnement d’un système informatique. Il existe de nombreux langages de programmation pour créer des logiciels. Qu’ils soient impératifs, déclaratifs, fonctionnels, logiques, orientés objet ou encore événementiels, les langages sont tous finalement interprétés par un processeur sous forme de code binaire (suite de 0 et de 1). D’un point de vue purement physique, le code binaire n’est rien d’autre qu’une suite de changements d’état électrique. Ainsi, un logiciel est souvent perçu comme immatériel et n’a, à première vue, aucun impact direct sur l’environnement.
En 2019, l’industrie du numérique représentait 3,8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit près du double de celles générées par l’industrie du transport aérien. Si les logiciels eux-mêmes n’ont pas d’impact direct sur ces émissions, d’où viennent ces impacts?
Dans son étude sur l’empreinte environnementale du numérique, le collectif GreenIT.fr révèle que près de 70% des impacts de cette industrie sont liés aux utilisateurs, qui possèdent plus de 34 milliards d’appareils numériques, le reste des impacts étant partagés entre les réseaux et les centres de données. Le nombre d’appareils par personne ne cesse de croître, et des rapports du Shift Project estiment qu’il pourrait atteindre 50 milliards en 2025, voire 100 milliards en 2030. La fabrication de ces appareils, qui est la phase la plus polluante, alourdit considérablement l’empreinte environnementale du numérique.
Un facteur clé contribuant à cette surconsommation de matériel est la prolifération des obésiciels. Ce terme désigne des logiciels de plus en plus gourmands en ressources, qui nécessitent des appareils toujours plus performants pour fonctionner correctement. Au fil des années, malgré l’augmentation exponentielle de la puissance des processeurs (selon la loi de Moore), les logiciels sont devenus plus lents et lourds, un phénomène connu sous le nom de loi de Wirth. Cela signifie que l’inefficacité croissante des logiciels compense, voire dépasse, les gains en performance du matériel.
Un exemple frappant de cette inefficacité est le contraste entre les besoins de stockage d’un ordinateur qui a permis d’envoyer des hommes sur la Lune (72 Ko) et les besoins d’un simple email en HTML aujourd‘hui, qui nécessitent bien plus de mémoire. Les obésiciels imposent une pression continue pour renouveler les appareils, contribuant ainsi à l’accroissement de l’empreinte carbone du secteur. Dans son baromètre du numérique de 2021, l’ARCEP précise que pour plus d’un tiers des cas, nous renouvelons nos smartphones pour des raisons “logiciel” (le système d’exploitation ne peut plus se mettre à jour, le smartphone commence à ramer…).
Les obésiciels ont donc un impact environnemental indirect mais significatif. Ce problème est aggravé par le fait que les développeurs ne sont souvent pas formés à optimiser l’utilisation des ressources des logiciels. L’obésiciel est le résultat d’un manque de sensibilisation aux bonnes pratiques de programmation et à l’écoconception, qui pourrait permettre de réduire l’empreinte environnementale des logiciels en optimisant leur efficacité et en minimisant leur besoin en ressources matérielles.
Face à l’impact des obésiciels, l’écoconception des services numériques apparaît comme une solution nécessaire. Pourtant, elle reste peu adoptée, souvent par méconnaissance. Les entreprises doivent prendre conscience que l’écoconception n’est pas seulement une responsabilité des développeurs, mais doit être intégrée dès les phases de conception fonctionnelle et technique. Adopter cette démarche pourrait non seulement réduire l’impact environnemental, mais aussi offrir des avantages concurrentiels, renforcer la résilience des entreprises face à la raréfaction des ressources, et se conformer aux exigences réglementaires croissantes.